* Ce texte a été rédigé auprès des Facultés Universitaires Saint-Louis de Bruxelles, dans le cadre d'une bourse postdoctorale du "Fonds de la Recherche Fondamentale Collective" de la Belgique, relative au projet "Ecriture du droit en réseau", proposé par M. van de Kerchove et F. Ost. Il s'inscrit aussi dans les travaux du Séminaire interdisciplinaire d'études juridiques, coordonné par F. Ost et consacré - pour l'année académique 2000-2001 - au thème "Droit et littérature". Il vise à poser quelques balises en vue d'une étude plus approfondie de la complexité du champ pénal contemporain. Je remercie Olivier Camy et Jean-Marc Ceci pour avoir lu mon texte en français avant sa publication. Cet essay a été publié in R.I.E.J., 2001.46

**Chercheur FNRS aux Facultés Universitaires Saint-Louis, Bruxelles
Chargé du cours de "Théorie du droit" à la Faculté de droit de
l'Université du Piémont Oriental - Italie

*** "Telle est la base de la ville: un filet qui sert de lieu de passage et de support. [...] Suspendue au-dessus de l'abîme, la vie des habitants d'Octavie est moins incertaine que dans d'autres villes. Ils savent que la résistance de leur filet a une limite".


1 . Il s'agit de la loi 15 juin 2000, entrée en vigueur le 1er janvier 2001.

2. C. PRIEUR, "Les malaises d'une profession en mutation", in Le Monde 11-12 mars 2001, p. 10.

3. C. PRIEUR, "Un millier de magistrats en colère manifestent devant l'hôtel Matignon", in Le Monde 11-12 mars 2001, p. 10.

4. Si on élargit l'horizon d'analyse, on peut constater que le champ pénal actuel est traversé par une multiplicité d'autres tensions, qui enchevêtrent les rapports canoniques entre les différents acteurs de la justice. A la distinction nette des rôles semble se substituer une imbrication des compétences. En Italie, on peut rappeler le projet de loi élaboré par le parquet de Milan pour clôturer la crise institutionnelle engendrée par les enquêtes de "Mani pulite" (ici des magistrats proposent au législateur des réformes pour donner une solution politique à un problème qu'on ne saurait résoudre par la seule voie judiciaire); toujours en Italie, on peut signaler le rôle d'interlocuteur politique revendiqué par l'association des avocats pénalistes ("Camere penali"), rôle qui est joué aussi par le recours à la grève (une fois même organisée pour protester contre un jugement de la Cour constitutionnelle) et l'élaboration, par des détenus, d'un projet d'amnistie ("Progetto Segio-Cusani"), autour duquel s'est focalisé, pendant une certaine période, le débat parlementaire. En France, outre aux manifestations des magistrats, on peut citer la mobilisation des policiers contre l'enregistrement sonore des interrogatoires à l'occasion de la présentation du projet de loi sur la présomption d'innocence. Sur ce contexte de perturbation des relations internes au domaine pénal se greffe la logique des médias qui finit par briser les barrières mêmes du champ, rendant poreuse et floue la frontière qui sépare l'intérieur et l'extérieur du champ pénal. Voir, pour l'indication des sources, M. VOGLIOTTI, "Les métamorphoses de l'incrimination: vers un nouveau paradigme pour le champ pénal ?", à paraître, chez Bruylant, dans les actes du séminaire du "Groupe européen de recherche sur la justice pénale" ("Incriminations. Mouvements de criminalisation et de décriminalisation en Europe", Corfù, 31 mai, 1-2 juin 2000).

5. Voir les deux articles de D. LE GUILLEDOUX, "Un bateau ivre" et "Un pouvoir qui fait peur", publiés dans Le Monde du 10 mars 2001, p. 16 et du 11-12 mars 2001, p. 13, sous l'étiquette "La révolte des juges".

6. G. TARELLO, "Orientamenti della magistratura, del giurista-interprete e della dottrina sulla funzione politica", in Politica del diritto, 1972, p. 461.

7. Cette locution n'a rien de péjoratif. Au contraire, elle exprime la double nature, imaginative (les récits fondateurs d'une communauté, ses croyances et ses représentations du bien et du juste) et rationnelle (l'ensemble des institutions, des techniques et des logiques), qui caractérise chaque système juridique particulier. Voir, à ce propos, J. LENOBLE et F. OST, Droit, mythe et raison. Essai sur la dérive mytho-logique de la rationalité juridique, Bruxelles, FUSL, 1980.

8. Ce déséquilibre institutionnel peut être lu comme l'effet d'une conception moniste du pouvoir qui a conditionné la doctrine continentale de la séparation des pouvoirs. Celle-ci, en effet, au lieu d'être interprétée comme une séparation de pouvoirs qui sont déjà à l'origine différents et divisés (version anglo-saxonne de la doctrine de la séparation des pouvoirs), est conçue comme la "division d'un pouvoir unique qu'il faut partager, mais qui aura en soi une tendance inexorable à se reconstituer; ce qui permet, tout au plus, une division entre un seul pouvoir souverain et des sous-pouvoirs de celui-ci" (G. AMATO, "Il dilemma del principio maggioritario", in Quaderni costituzionali, 1994, p. 175). Rousseau, avec le concept de "volonté générale" représentée par le Parlement, ne fait que changer le titulaire de la souveraineté, mais ses caractéristiques (unicité et exclusivité) sont les mêmes que celles théorisées par Bodin. A côté du pouvoir suprême du Parlement, expression de la souveraineté populaire - et donc la seule source légitime du droit - il n'y a de place que pour des pouvoirs exécutifs (le gouvernement, mais aussi le pouvoir judiciaire, dont la tâche se réduit à déclarer un droit qui est censé être déjà tout présent dans le texte législatif). A propos de cette interprétation continentale de la théorie de la séparation des pouvoirs, voir aussi G. REBUFFA, La funzione giudiziaria, 3e éd., Torino, Giappichelli, 1993, p. 31 s. et p. 46 s.

9. Sur ce thème, voir la riche reconstruction d'E. BRUTI LIBERATI, "La magistratura dall'attuazione della Costituzione agli anni novanta", in Storia dell'Italia repubblicana. L'Italia nella crisi mondiale. L'ultimo ventennio, vol. III, Torino, Einaudi, 1997, p. 142 s. Comp. aussi, pour suivre de plus près l'évolution du débat autour de ce phénomène, S. RODOTA', "Le 'tentazioni' della politica", in Politica del diritto, 1972, p. 311 s. et A. GAMBERINI, G. INSOLERA, N. MAZZACUVA, L. STORTONI, M. ZANOTTI, "Il dibattito sul ruolo della magistratura: prospettive di ricerca nel settore penale", in Foro italiano, 1987, V, c. 433 s.

10. Comp., par exemple, ces titres significatifs: A. GARAPON et D. SALAS, La République pénalisée, Paris, Hachette Livre, 1996 et Governo dei giudici. La magistratura tra diritto e politica, sous la direction d'E. BRUTI LIBERATI, A. CERETTI et A. GIASANTI, Milano, Feltrinelli, 1996.

11. Comp. l'étude comparative The Global Expansion of Judicial Power, sous la direction de C. N. TATE & T. VALLINDER, New York University Press, 1995.

12. Ph. ROBERT, "Le monopole pénal de l'État", in Esprit, décembre 1998, p. 152.

13. A. GARAPON , Le gardien des promesses. Justice et démocratie, Paris, Odile Jacob, 1996, p. 49. Nous avons traité, de façon plus diffuse, de ces mutations des rapports entre politique et magistrature in "Faut-il récupérer 'aidos' pour délier Sisyphe? A propos du temps clos et instable de la justice pénale italienne", in L'accélération du temps juridique, sous la direction de Ph. Gérard, F. Ost et M. van de Kerchove, Bruxelles, FUSL, 2000, p. 691 s.

14. G. TARELLO, "Orientamenti della magistratura", loc. cit.

15. Comme le souligne D. de BÉCHILLON, "L'imaginaire d'un code", in Droits, 1998, n° 27, p. 175 : "le Code, nul n'en doute, doit apparaître comme fondamentalement Un". Outre l'unité, le même auteur indique cinq autres propriétés de l'imaginaire du code: la totalité, la transcendance, la naturalité, la hiérarchie et la corporéité.

16. Un nombre important d'auteurs soulignent l'état actuel de crise du principe de la légalité. Comp., entre autres et avec des accents différents, A. CADOPPI, Il valore del precedente nel diritto penale, Torino, Giappichelli, 1999; M. DELMAS-MARTY, Le flou du droit, Paris, PUF, 1986; G. FIANDACA, "Diritto penale giurisprudenziale e spunti di diritto comparato", in Sistema penale in transizione e ruolo del diritto giurisprudenziale, 1997, p. 1 s. (notamment, p. 17-18); G. FIANDACA et E. MUSCO, "Perdita di legittimazione del diritto penale?", in Rivista italiana di diritto e procedura penale, 1994, p. 23 s.; M. van de KERCHOVE, "Développements récents et paradoxaux du principe de la légalité criminelle et de ses corollaires essentiels", in Liber Amicorum Jean du Jardin, Kluwer, Deurne, 2001, p. 299 s.; M. NOBILI, "Nuovi modelli e connessioni: processo - teoria dello Stato - epistemologia", in Indice penale, 1999, p. 27 s.; F. PALAZZO, "Riserva di legge e diritto penale moderno", in Studium Juris, 1996, p. 276 s; C. E. PALIERO, "L'autunno del patriarca. Rinnovazione o trasmutazione del diritto penale dei codici?", in Rivista italiana di diritto e procedura penale, 1994, p. 1220 s.; M. SBRICCOLI, "Caratteri originari e tratti permanenti del sistema penale italiano (1860-1990)", in Storia d'Italia, vol. XIV (Leggi Diritto Giustizia), Torino, Einaudi, 1998, p. 551 et K. VOLK, "Diritto penale ed economia", in Rivista trimestrale di diritto penale dell'economia, 1998, p. 479.

17. Sur ce passage de l'unité à la multiplicité des auteurs réels du droit pénal et sur l'inversion de sa temporalité, on renvoie à M. VOGLIOTTI, "Les métamorphoses de l'incrimination", loc. cit., § 4 et 5 et aux références bibliographiques qui y sont citées.

18. On fait référence ici aux choix de ne pas donner lieu à des poursuites, empêchant ainsi le droit pénal in the books d'être "écrit" in the facts, choix effectués par le parquet, mais aussi par la police, en dehors de toute couverture légale dans les pays, comme l'Italie, qui gardent une conception particulièrement stricte du principe de la légalité des poursuites (principe de l'obbligatorietà dell'azione penale, art. 112 de la Constitution). A propos de l'existence "d'un véritable pouvoir policier" par lequel, renversant le rapport officiel avec le ministère public établi par le code d'instruction criminelle, la police "contrôle l'accès au système de justice pénale", faisant "des choix et opérant une sélection" selon des critères propres, voir H.-D. BOSLY, "La fonction de police judiciaire: de la dépendance vers l'autonomie?", in Liber Amicorum José Vanderveeren, Bruxelles, Bruylant, 1997, p. 22.

19. Il s'agit d'une typologie d'arrêts créée récemment par la Cour même, grâce à laquelle le juge se voit assigner le pouvoir créateur de concrétiser - en attendant l'intervention éventuelle du législateur - le principe fixé par la Cour dans ces jugements, afin de rendre une certaine norme compatible avec la Constitution. Dernièrement, ce pouvoir d'écriture a été confié aux juges, même dans le domaine de la procédure pénale (il s'agit de l'arrêt 32/1999, in La legislazione penale, 1999, p. 415 s.). Sur ce dispositif de la Cour, voir A. ANZON, "Nuove tecniche decisorie della Corte costituzionale", in Giurisprudenza costituzionale, 1992, p. 3199 s. et G. PARODI, "Le sentenze additive di principio", in Foro italiano, 1998, V, c. 160 s.

20. A la tendance, maintes fois dénoncée et toujours plus accentuée, de déléguer aux juges (mais aussi aux organes de l'administration publique) la tâche de compléter les lois et d'opérer les choix laissés irrésolus par le législateur, en ayant recours à un langage ambigu et riche d'expressions vagues, il faut ajouter, maintenant, l'affirmation d'une praxis consistant à voter des lois dont on sait déjà, au moment de la votation finale, qu'elles devront faire l'objet d'une nouvelle réécriture par le Parlement même ou par d'autres auteurs. La conception traditionnelle de l'écriture de la norme caractérisée par des moments d'écriture suivis de longs intervalles de pause, semble être mise en cause par une modalité d'écriture caractérisée par la présence d'un chantier normatif toujours ouvert, clôturé par de brefs actes d'interruption déterminés par l'irruption d'événements externes à la logique de l'écriture (par exemple la fin de la législature, la lacune résultant d'un arrêt de la Cour constitutionnelle ou d'autres diktat de l'urgence). Un bon exemple de cette façon de légiférer est donné par la récente loi 1er mars 2001, n° 63, qui - après un long iter législatif - a été approuvée, avant la fin de la législature, "sans grands enthousiasmes" et, d'après plusieurs déclarations provenant des parlementaires qui ont voté cette loi, "ayant dans l'idée que le prochain Parlement ou la Cour constitutionnelle recolleront bien les morceaux" (D. STASIO, "Il 'giusto processo' taglia il traguardo", in Il Sole-24 ore, 15 février 2001, p. 19).

21. Un exemple paradigmatique est représenté par le droit procédural italien, dont l'incohérence et l'instabilité normative impressionnante sont bien synthétisées par ce titre de M. CHIAVARI : "Codice ormai nel caos", in Il Sole-24 ore, 15 février 2001, p. 19. On peut lire, de façon plus diffuse, sur la temporalité de la justice pénale italienne et sur le paradigme de l'urgence, M. VOGLIOTTI, "Faut-il récupérer aidos pour délier Sisyphe?. À propos du temps clos et instable de la justice pénale italienne", in L'accélération du temps juridique, sous la direction de Ph. Gérard, F. Ost et M. van de Kerchove, Bruxelles, FUSL, 2000, p. 661 s. En général, sur le registre temporel du droit contemporain et sur le statut toujours inachevé du texte juridique, qui "ne cesse d'être "in process", en état de gestation perpétuelle, déjà en vigueur et pourtant encore en suspens", voir F. OST, "Le temps virtuel des lois contemporaines ou comment le droit est traité dans la société de l'information", in Journal des tribunaux, 1997, n° 5828, p. 55 s.

22. Voir, à ce propos, la proposition de lier le législateur par l'introduction, en droit pénal, d'une "réserve spécifique de code". Toutes les normes pénales devraient être écrites dans un code qui ne pourrait être modifié que par une majorité qualifiée (en ce sens, voir L. FERRAJOLI, "La giustizia penale nella crisi del sistema politico", in Governo dei giudici, op.cit., p. 81). Une telle proposition a été traduite en partie dans l'art. 129 alinéa 4 du projet de révision de la Constitution italienne, approuvé par la "Commission bicamérale" en novembre 1997 ("Nuove norme penali sono ammesse solo se modificano il codice penale ovvero se contenute in leggi disciplinanti organicamente l'intera materia cui si riferiscono"). Sur cet article, voir M. DONINI, "L'art. 129 del Progetto di revisione costituzionale approvato il 4 novembre 1997", in Critica del diritto, 1998, p. 95 s.

23. Voir, pour ne citer que l'exemple le plus prestigieux, l'avis du théoricien du droit L. FERRAJOLI, Diritto e ragione. Teoria del garantismo penale, Bari, Laterza, 1989, p. 558, qui attribue à la "sémantique du langage légal et juridictionnel" la fonction principale de tutelle des garanties pénales. Selon cet auteur (p. 101), "le vague et la présence de jugements de valeurs et d'antinomies dans le langage légal dépendent du caractère obscur et redondant des lois et de leur vocabulaire". Ces inconvénients "pourraient être réduits, si non éliminés, par une technique législative juste un peu plus conforme au principe de stricte légalité".

24. Comme par exemple la récente loi constitutionnelle du 23 novembre 1999, n° 2, qui a modifié l'art. 111 de la Constitution italienne, introduisant des normes détaillées, plus adaptées pour un code de procédure pénale que pour une constitution (comp., pour une critique de cette technique législative, M. CHIAVARIO, "Dichiarazioni a carico e contraddittorio tra l'intervento della Consulta e i progetti di riforma costituzionale", in La legislazione penale, 1998, p. 941 s. et V. GREVI, "Dichiarazioni dell'imputato sul fatto altrui, diritto al silenzio e garanzia del contraddittorio", in Rivista italiana di diritto e procedura penale, 1999, p. 849 s.).

25. T. PADOVANI, "Il crepuscolo della legalità nel processo penale", in Indice penale, 1999, p. 535.

26. Selon la célèbre analyse de T. S. KUHN (The Structure of Scientific Revolutions, University of Chicago, 1962 et 1970, tr. fr., Paris, Flammarion, 1972), en présence d'anomalies (de dissociations entre la théorie et la réalité), la communauté scientifique ne met pas tout de suite en cause le paradigme traditionnel, mais essaie de concilier le modèle avec la réalité par des intégrations de la théorie, expressément finalisées à résoudre des problèmes particuliers. Ce faisant, le modèle finit par devenir très compliqué, riche d'exceptions qui se multiplient afin de répondre à d'autres discordances qui se forment. La période de la crise du paradigme ouvre la phase dite de la science extraordinaire (qui suit la phase "normale"), caractérisée par une activité fiévreuse de recherche et par la présence de plusieurs théories en compétition qui précèdent la formation d'un nouveau paradigme. Pour notre démarche, le terme de paradigme est employé dans le sens général que Kuhn lui a donné dans la préface à son livre, c'est-à-dire "les découvertes scientifiques universellement reconnues qui, pour un temps, fournissent à un groupe de chercheurs des problèmes-types et des solutions" (p. 10 de l'édition française).

27. Un phénomène de ce genre s'est manifesté, par exemple, quelques années après l'entrée en vigueur (en 1989) du nouveau code de procédure pénale italien qui, s'inspirant du modèle accusatoire, a introduit le principe du contradictoire et de l'oralité de la preuve. Toutefois, la mise en œuvre trop rigide de ce principe - greffé, en outre, sur un corps normatif et institutionnel encore lié, à maints endroits, à la tradition inquisitoire - a engendré une crise de rejet qui, par effet de trois célèbres jugements de la Cour constitutionnelle, prononcés en 1992 et suivis d'une réforme législative d'urgence, a fini par renverser le principe de l'oralité, attribuant la primauté gnoséologique à la phase de l'enquête sur la phase des débats (pour L. PEPINO, "Legalità e diritti di cittadinanza nella democrazia maggioritaria", in Questione giustizia, 1993, p. 282, ce déplacement du barycentre du procès des débats vers l'enquête préliminaire a fait du procès pénal une "gigantesque instruction sommaire". Comp., pour une critique particulièrement forte de ce renversement des logiques procédurales, P. FERRUA, Studi sul processo penale. Anamorfosi del processo accusatorio, Torino, Giappichelli, 1992). En général, sur les effets pervers induits par la rigidité excessive des formes procédurales, lire les remarques d'E. FASSONE, "Garanzie e dintorni: spunti per un processo non metafisico", in Questione giustizia, 1991, p. 116 s.

28. G. BACHELARD, La formation de l'esprit scientifique, 11e éd., Paris, Vrin, 1980, p. 13 s.

29. Voir, dans cette perspective, M. CORSALE, "Certezza del diritto. Profili teorici", in Enciclopedia giuridica Treccani, Roma, 1989, p. 4 s.

30. Sur la crise des présupposés juridiques, politiques et épistémologiques de la codification voir F. OST, "Codifier en 1987?", in Le Journal des procès, 1987, n° 116, p. 16 s. et, en ce qui concerne plus spécifiquement le droit pénal, G. FIANDACA et E. MUSCO, "Perdita di legittimazione del diritto penale?", in Rivista italiana di diritto e procedura penale, 1994, p. 23 s.

31. Notamment sa nature - de plus en plus bafouée, d'ailleurs - d'extrema ratio, qui impose de limiter les frontières de l'écriture législative et judiciaire de ce type de droit. A ce propos, le principe classique de l'interdit de l'analogie in malam partem vise, précisément, à donner une forme juridique à cette valeur du favor libertatis. Le caractère flou (voir, par exemple, L. GIANFORMAGGIO, "Analogia", in Digesto delle discipline privatistiche (sez. civile), I, Torino, UTET, 1987, p. 327) de la distinction entre analogie (officiellement interdite) et interprétation extensive (normalement considérée admissible) offre au juge une marge d'appréciation pour élargir le champ sémantique de l'incrimination, jusqu'au point où cet élargissement pourrait, vraisemblablement, être accepté par la communauté interprétative. Dans le cas contraire, cette dernière - à travers ses représentants officiels (les juges supérieurs, la Cour constitutionnelle, le législateur, la Cour européenne des droits de l'homme, grâce aussi aux critiques de la doctrine) - aura la possibilité juridique de qualifier l'interprétation du juge comme "analogique" et l'effacer du texte pénal. Il va de soi que le degré d'efficacité et de stabilité de la censure de la communauté interprétative est strictement lié à l'homogénéité de celle-ci: une communauté juridique fortement pluraliste et fragmentée difficilement réussira à stabiliser le sens des énoncés normatifs. Le droit pénal, toutefois, possède un dispositif, le principe in dubio pro reo (ou pro libertate), qui joue, précisément, un rôle stabilisateur de "definitio finium", car il doit intervenir comme critère régulateur définitif toutes les fois qu'il y a un dissensus axiologique important dans la communauté interprétative.

32. M. PAVARINI, "Per un diritto penale minimo: 'in the books' o 'in the facts'? Discutendo con Luigi Ferrajoli", in Dei delitti e delle pene, 1998, p. 148.

33. L'attribution aux parties et à la victime (dans les procédures de médiation-conciliation) du pouvoir, dans certains cas, de décider des formes du procès, des preuves qui peuvent être utilisées par le juge et de la quantité et de la qualité de la peine, peut être interprétée, d'ailleurs, comme le signe d'un élargissement ultérieur du nombre des auteurs qui jouent un rôle effectif dans l'œuvre de coécriture du droit pénal réel.

34. Sur ces deux aspects du droit pénal contemporain on ne peut que renvoyer à ce qu'on a écrit in "Les métamorphoses de l'incrimination", loc. cit., § 6 et 7, et à la bibliographie qui y est citée.

35. Voir, sur ce thème, R. LANFREDINI,
"Filosofia della scienza", in La filosofia, sous la direction de P. Rossi, Torino, UTET, vol. I, 1995, p. 74 s.

36. L'analogie entre le changement du paradigme et le changement de la Gestalt visuelle a été soulignée par N. R. HANSON, Patterns of Discovery. An Inquiry into the Conceptual Foundation of Science, Cambridge University Press, 1958, chap. I.

37. Par exemple, la reconnaissance du rôle de co-écrivain joué par la jurisprudence fait "apparaître" le phénomène de la rétroactivité des jugements que le paradigme officiel n'arrivait pas à se représenter et, donc, à se poser comme un problème pertinent, comme en témoigne le long silence gardé sur cette question par la littérature pénaliste de civil law. Voir, sur cette problématique et pour des références bibliographiques, M. VOGLIOTTI, "Les métamorphoses de l'incrimination", loc. cit., § 5.

38. A. VENERI, "Omero", in Dizionario degli scrittori greci e latini, sous la direction de F. Della Corte, vol. II, Settimo Milanese, Marzorati, 1987, p. 1433-1434. Je remercie M.me Rosaria Fresta pour m'avoir suggéré cette référence bibliographique.

39. Voir, sur le modèle de l'Arbre - fondé sur la "logique binaire", c'est-à-dire "la loi de l'Un qui devient deux, puis deux qui deviennent quatre..." - les pages célèbres de G. DELEUZE et F. GUATTARI, Capitalisme et schizophrénie. Mille plateaux, Paris, Ed. de Minuit, 1980, p. 11 s.

40. On sait bien que le champ d'application de la métaphore de Dworkin est limité à l'activité des juges lorsqu'il s'agit de résoudre un cas difficile (hard case).

41. R. DWORKIN, A matter of Principle, Cambridge, Massachussets, Harvard University Press, 1985 (tr. fr. Une question de principe, Paris, P.U.F., 1996, p. 199-202).

42. Cette métaphore, qui montre le lien strict d'inférences déductives entre les différentes normes, est assez récurrente dans les pages des juristes de cette époque. Tout l'édifice juridique de Domat, par exemple, a été conçu comme un ordre de normes déduites à partir de deux principes fondamentaux: "toutes les lois ont leur source dans les premiers principes, qui sont les fondements de l'ordre de la société des hommes; et on ne saurait bien entendre la nature et l'usage des différentes espèces de lois, que par la vue de leur enchaînement à ces principes" (J. DOMAT, "Préface au traité des lois", in Œuvres complètes, 1re éd. in-octavo, Paris, Louis Tenré, 1822, t. 1er., p. XXIX). Comp., aussi, l'affirmation de Samuel Cocceius, l'auteur du projet de Code général prussien de 1751, selon lequel ce code doit être conçu comme un système de lois dans lequel les différentes parties sont "liées entre elles comme les chaînons d'une chaîne" (cit. par Y. CARTUYVELS, "Éléments pour une approche généalogique du code pénal", in Déviance et Société, 1994, p. 382).

43. On connait la critique que S. FISH, "Working on the Chain Gang: Interpretation in Law and Literature", in Texas Law Review, 1982, p. 551 s. ("Le clan des travailleurs à la chaîne: l'interpretation en droit et en littérature", in Respecter le sens commun, tr. par O. Nerhot, Diegem-Paris, Story-Scientia-LGDJ, 1995, p. 35 s.) a adressée à l'idée de Dworkin de prêter au premier écrivain de la chaîne une liberté absolue qui - d'après son premier projet d'essai, ensuite abandonné, mais qui, selon Fish, serait encore sous-jacent à sa métaphore - dégraderait au fur et à mesure que le roman s'écrit, jusqu'au dernier écrivain qui serait obligé de reconnaître "only one good-faith interpretation" (p. 553). La métaphore de la rhapsodie, par contre, indique: 1) qu'il n'y a pas un aède (Homère) qui, de façon complètement libre et solitaire, a créé l'Iliade et l'Odyssée; 2) qu'il n'y a pas, non plus, de simples exécuteurs passifs (les rhapsodes), totalement liés à une œuvre qui serait déjà entièrement définie par le poète (à ce propos, Platon nous dit, dans le Ion, que le rhapsode est l'hermeneus de la pensée du poète (aède), ce qui indique non seulement l'activité de déclamer Homère, mais aussi l'acte de "parler sur Homère" (Ion, 536 cd), c'est-à-dire le commentateur qui explique et actualise l'épique, l'interprète créateur; d'autre part, l'aède n'est pas entièrement libre, car lui aussi est un hermeneus, un interprète-créateur de la volonté des dieux). Cette dialectique entre liberté et contrainte évoque assez bien l'idée que dans l'Etat contemporain (démocratie constitutionnelle) les deux figures du paradigme traditionnel - celle de l'exécuteur complètement lié et celle du créateur complètement libre - ont disparu en faveur d'une gamme de figures hybrides, plus ou moins libres ou liées, selon le rôle juridique qu'elles doivent jouer. Voir, sur la figure platonicienne du rhapsode-hermeneus, J. PÉPIN, "L'herméneutique ancienne", in Poétique, 1973, n. 3, p. 296 et M. CANTO, "Introduction" à l'Ion de Platon, Paris, Flammarion, 1989, p. 33 s.

44. Voir, à ce propos, la critique de J. HABERMAS, Faktizität und Geltung: Beiträge zur Diskurstheorie des Rechts und des demokratischen Rechtsstaats, Frankfurt am Main, Suhrkamp Verlag, 1992, tr. par R. Rochlitz et C. Bouchindhomme, Droit et démocratie: entre faits et normes, Paris, Gallimard, 1997, p. 244 s. qui reproche à Dworkin d'être resté prisonnier - malgré ses intentions - d'une approche monologique, antérieure au "tournant pragmatique" (la figure idéalisée du juge qui, seul, se consacre à l'œuvre cyclopéenne de reconstruction de l'ordre juridique en vue de dégager la "right answer").

45. La Renaissance avait représenté l'espace comme une "boîte" dans laquelle les objets et les figures prenaient leur place, réduisant par ordre leurs dimensions au fur et mesure qu'ils se rapprochaient de l'unique point de fuite sur le fond. Cézanne, par contre, considérait l'espace comme un élément flou, où l'on perd l'unicité du point de vue. Ici, l'objet naît par la somme de différents actes perceptifs qui s'organisent dans un ensemble. Par exemple, dans le tableau "Table de cuisine" (1889), le pot et le panier sont représentés par des perspectives différentes et contradictoires entre elles, ainsi que le plan du fond du tableau, qui n'est pas parallèle au plan de la table, et le plancher de la chambre qui monte rapidement. Cette conception de l'espace, conçue comme une réaction au descriptivisme du XIXe siècle, sera radicalisée par le cubisme de Picasso et Braque. Comp., sur cette conception de l'espace, Storia dell'arte italiana, sous la direction de C. Bertelli, G. Briganti, A. Giuliano, vol. 4, Milano, Mondadori, 1987, p. 203-204 et 290-291.

46. CEDH, arrêt Larissis et autres c. Grèce du 24 février 1998, § 53. Le caractère mobile et flou de ce principe est rendu plus précis par l'établissement - de la part de la Cour - d'une pluralité de critères qui orientent ses décisions. Le système juridique italien tirerait un grand bénéfice (en termes de justice et de célérité) si la Cour de cassation faisait vraiment sienne cette perspective multiple, en laissant une marge d'appréciation majeure aux juridictions inférieures, lorsqu'il s'agit de vérifier, par le moyen du contrôle de la motivation, l'établissement des faits (notamment les choix des règles d'expérience) opéré par les juges de fond, mieux placés qu'elle pour ce genre de questions (la critique de cette tendance de la Cour à déborder de ses limites est un ancien leit-motiv de la doctrine italienne; récemment, ce thème a été repris par le premier président de la Cour de cassation de l'époque, F. Zucconi Galli Fonseca, qui - par le moyen d'une lettre envoyée le 10 mars 1999 à ses collègues de la Cour - dénonçait fermement cette pratique. La lettre peut être lue dans la revue Il Foro italiano, 1999, V, cc. 215-216.

47. Ce présupposé inspire, par exemple, les réflexions sur la légitimité du pouvoir judiciaire de L. FERRAJOLI, Diritto e ragione. Teoria del garantismo penale, Bari, Laterza, 1989, p. 556 s. D'après Ferrajoli, le pouvoir judiciare est légitime seulement lorsqu'il exerce une fonction purement cognitive. Or, poursuit cet auteur, le pouvoir judiciaire - même dans les systèmes les meilleurs - n'exerce jamais une simple fonction cognitive, car il possède toujours un pouvoir discrétionnaire (en ce qui concerne l'interprétation de la loi, l'évaluation des preuves et la détermination de la peine). Sa fonction, donc, "est aussi, en quelque sorte, potestative". Ce qui l'amène à conclure que "l'activité juridictionnelle [...] est politiquement illégitime et se configure comme un résidu de l'absolutisme" (p. 557). Dans ce cadre, le pouvoir du juge n'est légitime que lorsqu'il exerce une fonction purement intellectuelle (en cohérence, par ailleurs, avec une conception néopositiviste de la connaissance qui relègue les jugements de valeur dans le domaine de l'irrationnel et de la subjectivité). Ce qui revient à dire que ce pouvoir est légitime seulement à la condition qu'il n'existe pas: il est admissible seulement s'il est "nul", pour reprendre l'expression célèbre de Ch. MONTESQUIEU, (1748), "De l'esprit des lois", in Oeuvres complètes. Paris, Gallimard, 1951, vol. II, XI, 6, p. 401. Or, cette façon de penser le problème de la légitimité du pouvoir juridictionnel doit être mise en question à la suite de l'affirmation, dans l'ordre juridique contemporain, de la démocratie constitutionnelle. Cette forme hybride de gouvernement constitue une tentative de recomposer la fracture moderne entre le principe de la souveraineté, le "peuple souverain" (qui garde en soi une potentielle dérive autoritaire, une hybris incontournable) et les raisons du constitutionnalisme, qui expriment l'exigence - paradoxale dans une perspective moniste - de limiter le pouvoir souverain, c'est-à-dire de limiter celui qui a été conçu, précisément, comme n'ayant pas de limites (celui qui est au-dessus de tous les autres, du latin médiéval "superanus", "supérieur"). La nature constitutionnelle de cette forme de gouvernement fonde la légitimité du pouvoir juridictionnel, auquel est attribué la fonction de "représenter" et de faire respecter les valeurs de la Constitution, même contre la volonté de la majorité. Si le fondement du pouvoir du législateur est le principe démocratique, pour les juges la source de leur légitimité est représentée par la protection des droits, à travers une certaine procédure publique et dialogique et par une décision motivée. La formule de la démocratie constitutionnelle relève d'une logique de la complexité, "incompréhensible à la lumière de la tradition moderne, qui avait toujours obligé tout le monde à se positionner d'un côté ou de l'autre: avec le peuple souverain [...] ou avec la constitution comme limite" (M. FIORAVANTI, Costituzione, Bologna, Il Mulino, 1999, p. 161). Voir, pour une conception similaire de la légitimité du pouvoir juridictionnel dans une société démocratique, M. CAPPELLETTI, "Des juges législateurs?" (1984), tr. fr. in Le pouvoir des juges, Presses Universitaires d'Aix Marseille Paris, Economica, 1990, p. 87 s. et S. SENESE, "Democrazia, sovranità popolare e giurisdizione", in Questione giustizia, 1987, p. 429 s.

48. Comp., sur cette dimension symbolique de la légalité, C. SCHMITT, Legalität und Legitimität, Leipzig-München, Duncker & Humblot, 1932 (trad. it. in Le categorie del "politico", sous la direction de G. Miglio et P. Schiera, Bologna, Il Mulino, 1972, p. 226 s.) et J. CHEVALLIER, "La dimension symbolique du principe de légalité", in Revue du droit public et de la science politique, 1990, p. 1651 s.

49. Sur ce présupposé opérationnel de la dogmatique juridique, voir F. OST, "L'interprétation logique et systématique et le postulat de rationalité du législateur", in L'interprétation en droit. Approche pluridisciplinaire, sous la direction de M. van de Kerchove, Bruxelles, FUSL, 1978, p. 97 s.

50. Voir, pour une telle remarque, dans le cadre d'une analyse consacrée à la crise du principe de la légalité en matière pénale, F. PALAZZO, "Riserva di legge e diritto penale moderno", in Studium Juris, 1996, p. 276 s.

51. L'emploi de cette locution au lieu de la formule canonique de droit jurisprudentiel (qui, selon l'usage courant, désigne l'écriture du juge) vise à mettre en lumière la matrice pluraliste de ce type de droit, qui n'est pas le produit d'un auteur monopoliste, mais le résultat d'un travail à plusieurs mains (celles des avocats de l'accusé, de la partie civile et des associations constituées dans le procès pour représenter les intérêts lésés, des procureurs, des experts, des amici curiae), réglementé par les formes dialogiques de la procédure judiciaire.

52. G. ZAGREBELSKY, Il diritto mite. Legge, diritti, giustizia, Torino, Einaudi, 1992, p. 213.

53. Voir, à ce propos, les observations de S. RODOTA', "Le 'tentazioni' della politica", loc. cit., p. 316 s. Par exemple, en Italie, le problème de la sauvegarde des intérêts des travailleurs, des consommateurs ou de l'environnement a commencé à être abordé par les juges, à travers l'utilisation - souvent de façon analogique - d'infractions pensées pour la protection d'autres intérêts.

54. A ce propos, F. PALAZZO, "Riserva di legge", loc. cit., p. 277 s., explique l'augmentation des marges d'écriture du droit pénal attribuées aux organes de l'administration publique par la double nécessité technique de faire recours à des savoirs spécifiques ainsi que de l'impossibilité de résoudre a priori la complexité des intérêts en conflit.

55. Le problème de l'euthanasie est un bon exemple de ce mode d'emploi de l'écriture judiciaire.

56. Dans la même perspective, G. MARANINI, "Presentazione" in P. MAROVELLI, L'indipendenza e l'autonomia della magistratura italiana dal 1848 al 1923, Milano, Giuffrè, 1967, p. VI-VII, soulignait qu'une structure monolithique et hiérarchisée de la justice, contrairement aux apparences, rend le droit instable et incertain, car il suffit d'une oscillation du sommet de la pyramide judiciaire ou du détenteur du pouvoir politique pour que non seulement des détails d'une certaine norme soient modifiés, mais aussi des normes ou des principes fondamentaux soient brusquement bouleversés. Par contre, "de l'effort diffus du vaste et libre corps judiciaire se dégagent des directives de grande stabilité".

57. Cette perspective requiert aussi de repenser la structure et la fonction du code dans une société complexe. Il semble qu'aujourd'hui celui-ci doit se confronter avec le paradoxe suivant: pour garder - ou reconquérir - son rôle-guide de source leader, pour être "fort", le code doit s'affaiblir, doit renoncer à l'hybris de l'omniscience qui l'a tenu au baptême (M. CERUTI, "La hybris dell'onniscienza e la sfida della complessità", in La sfida della complessità, sous la dir. de G. Bocchi et M. Ceruti, Milano, Feltrinelli, 1985, p. 25 s.). À ce propos, F. PALAZZO, "Tra aspirazioni e chimere, la ricodificazione del diritto penale italiano", in Diritto penale e processo, 1999, p. 272-273, avance l'hypothèse que la survie de l'idée de code est subordonnée à la "transfiguration de la méthodologie et du style de la codification". Au lieu de l'image "monolythique" du code "classique", comme un "corps normatif cohérent, systématique et fondamentalement clos", il faudrait s'orienter vers un style "différent, moins ambitieux et parfait, mais plus réaliste". On pourrait donc penser, selon cet auteur, à un code conçu comme un "programme législatif formé par des propositions synthétiques, mais suffisamment expressives des lignes de discipline"; un programme "en quelque sorte progressif et graduel", qui requiert une logique différente, caractérisée par "l'utilisation pondérée et raisonnable des principes et des critères de valeur" (comp. aussi, dans la même perspective, F. OST, "Codifier en 1987?", loc. cit., p. 23 et, à propos du code de procédure pénale, la proposition de M. CHIAVARIO, "Cinque anni dopo...", in Commento al codice di procedura penale. Secondo aggiornamento, sous la direction de M. Chiavario, Torino, UTET, 1993, p. 28-29, d'accepter une "cohabitation réelle et une intégration" entre sources non paritaires et, dans ce cadre, de réhabiliter le "droit prétorien", considéré comme un programme d'action des différents bureaux "pour les problèmes de détail"). Le fait d'assumer cette conception gradualiste du code, au moment de sa rédaction, devrait permettre une meilleure maîtrise de l'écriture rhapsodique du droit qui est déjà à l'œuvre dans la réalité, comme en témoigne - d'une façon particulièrement évidente - le nouveau code de procédure pénale italien, mais aussi le code pénal de 1930, dont la partie générale est le résultat de l'écriture synergique du législateur, de la jurisprudence - constitutionnelle et ordinaire - et de la doctrine, comme le note F. PALAZZO, "Legge penale", loc. cit., p. 357. En outre, il faut renoncer à la tentation de concevoir le code comme un "monument isolé", oubliant qu'il est un "élément d'un ensemble élargi à d'autres disciplines sanctionnatrices que le droit pénal et ouvert à d'autres influences que le droit national" (M. DELMAS-MARTY, "Nouveau code pénal. Avant-propos", in Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 1993, p. 440. C'est justement à partir de cette conception "réticulaire" que cet auteur reproche au nouveau code pénal français d'être un code "trop inscrit dans le présent", caractérisé par "l'oubli du contexte" qui témoigne "d'une véritable myopie du législateur, refusant de voir que l'environnement juridique a changé et qu'une codification pour le XXIe siècle ne se conçoit pas sur le modèle du début XIXe siècle"). La même "perspective polycentrique" inspire l'idée récemment reproposée par G. FIANDACA, "In tema di rapporti tra codice e legislazione penale complementare", in Diritto penale e processo, 2001, p. 141, qui plaide pour la renonciation au paradigme moniste, à travers lequel a été toujours pensé le code, au profit d'un "programme de microcodifications", d'un "ensemble de petits codes" dans lequel organiser "un certain nombre de matières qui, jusqu'à maintenant, se trouvent dispersées de manière désordonnée dans la législation hors code". Pour des approches similaires à la question du code, inspirées de la même épistémologie de la complexité, comp. aussi C.E. PALIERO, "L'autunno del patriarca. Rinnovamento o trasmutazione del diritto penale dei codici?", in Rivista italiana di diritto e procedura penale, 1994, p. 1220 s. et M. DONINI, "La riforma della legislazione penale complementare: il suo significato 'costituente' per la riforma del codice. (Riflessioni a margine di una ricerca)", in Indice penale, 2000, p. 657 s.

58. Arrêt Wingrove c. Royaume Uni, du 25 novembre 1996, § 40.

59. Arrêt Cantoni c. France, du 15 novembre 1996, § 29.

60. Comp., entre autres, les arrêts Müller et autres c. Suisse, du 24 mai 1988, § 29 et Kokkinakis c. Grèce, du 25 mai 1993, § 40.

61. Cantoni c. France, cit., §§ 31 et 31.

62. C. LUZZATI, La vaghezza delle norme. Un'analisi del linguaggio giuridico, Milano, Giuffrè, pp. 426 et 423.

63. A ce propos, E. GRANDE, "Principio di legalità e diritto giurisprudenziale: un'antinomia?", in Politica del diritto, 1996, p. 477 observe que cette approche, typique des systèmes de common law, qui reconnaissent à la jurisprudence le rôle de co-producteur du droit (même pénal), "ne diminue pas, mais au contraire, augmente le taux de garantie offert à l'individu par le système". Egalement, A. CADOPPI, Il valore del precedente, op. cit., p. 112, constate, à la suite d'une comparaison entre le système italien et un système de common law "pur" comme le système écossais, que - paradoxalement - le principe de la sécurité juridique est plus respecté en Ecosse qu'en Italie, "patrie du "mythe" de la légalité". Contra, pour un retour à une interprétation stricte du principe de la légalité criminelle, voir R. KOERING-JOULIN, "Pour un retour à une interprétation stricte... du principe de la légalité criminelle (à propos de l'article 7, 1° de la Convention européenne des droits de l'homme)", in Liber amicorum Marc-André Eissen, Bruxelles-Paris, Bruylant-LGDJ, 1995, p. 247 s.
Pour en revenir encore un instant à la jurisprudence des juges européens, il faut peut-être encore préciser, que cette redéfinition du principe de la légalité, après une période pendant laquelle la Cour semblait distinguer entre systèmes de common law et de civil law (arrêts Sunday Times c. Royaume-Uni du 26 avril 1979 et Malone c. Royaume-Uni du 2 août 1984), a été étendue sans hésitation à tous les pays membres du Conseil de l'Europe, à partir de la fin des années quatre-vingts (voir, par exemple, les arrêts Kruslin c. France et Huvig c. France du 24 avril 1990). La fonction épistémologique du droit comparé se montre ici dans toute sa plénitude. En effet, la rencontre entre les deux différentes traditions, sur un espace juridique commun, a mis la Cour dans les conditions d'amorcer le processus de changement de la Gestalt visuelle, ce qui lui a permis de mieux comprendre et gérer les systèmes de droit continental.

64. Sur la "nature relationnelle" du phénomène juridique (et sur la centralité de notions comme praxis, contexte, communauté interprétative, pluralisme, raisonnable) voir G. ZACCARIA, "Complessità della ragione giuridica", in Ragion pratica, 1993, p. 89 s.

65. Sur cet idéal de la "loi parfaite" voir F. OST, "L'amour de la loi parfaite", in L'amour des lois. La crise de la loi moderne dans les sociétés démocratiques, Presses de l'Université Laval, L'Harmattan, 1996, p. 53 s.

66. L. BOLTANSKI & E. CHIAPELLO, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999, p. 219, 220 et 223. Sur l'emploi du modèle du réseau pour représenter la structure du droit contemporain, comp. F. VIOLA, Autorità e ordine del diritto, Torino, Giappichelli, 1987, p. 376 s. et, récemment, dans les pages de cette revue, F. OST & M. van de KERCHOVE, "De la pyramide au réseau? Vers un nouveau mode de production du droit?", in Revue interdisciplinaire d'études juridiques, 2000, p. 1 s. Pour une référence à ce modèle en droit pénal, comp. aussi Y. CARTUYVELS, "Proximus, ou la tentation du temps pénal contemporain", in Revue de droit pénal et de criminologie, 1999, p. 59-60, G. FIANDACA & E. MUSCO, "Perdita di legittimazione del diritto penale?", loc. cit., p. 27 et J. FAGET, Justice et travail social. Le rhizome pénal, Toulouse, Erès, 1992, p. 164 s., qui, toutefois, en s'inspirant de la célèbre métaphore du "rhizome" de G. DELEUZE et F. GUATTARI, Capitalisme et schizophrénie. Mille plateaux, op. cit., - préfère parler de rhizome pénal.

67. Pour un développement systématique de l'analogie du droit et du "jeu", défini comme "mouvement dans un cadre" (p. 6), voir M. van de KERCHOVE et F. OST, Le droit ou les paradoxes du jeu, Paris, PUF, 1992.

68. C'est la locution par laquelle D. HOFSTADTER, Gödel, Escher, Bach: an Eternal Golden Braid, New York, Basic Books, 1979 (tr. fr. Gödel, Escher, Bach. Les brins d'une Guirlande Eternelle, Paris, Inter-Editions, 1985) tente de donner une forme logique aux relations récursives à l'œuvre dans tous les systèmes complexes, qui brouillent la linéarité apparente des hiérarchies. La hiérarchie enchevêtrée - ou "boucle étrange" - est définie comme "interaction entre des niveaux dans laquelle le niveau supérieur redescend vers le niveau inférieur et l'influence tout en étant lui-même en même temps déterminé par le niveau inférieur" (p. 799).

69. F. VIOLA, Autorità e ordine, op. cit., p. 377.

70. G. DELEUZE et F. GUATTARI, Capitalisme et schizophrénie, op. cit., p. 16.

71. Par exemple, le document final de l'Assemblée générale de la Cassation (approuvé à l'unanimité le 23/4/1999) a reconnu que la circulation de l'information parmi les nombreux juges de la Cassation italienne constitue une condition fondamentale pour améliorer la cohérence de la jurisprudence de la Cour. D'après ce document (et d'après une lettre du 13/6/1994 du premier président de la Cassation), la réduction des conflits de jurisprudence parmi les "sezioni" de la Cour et entre les "sezioni semplici" et les "Sezioni Unite" ne peut que passer aussi par une amélioration et une intensification des rapports à l'intérieur des différentes chambres de la Cour et entre l'Ufficio del Massimario et ces mêmes chambres (assurant une plus grande efficacité aux "informations de décision"), afin d'éviter les conflits involontaires de jurisprudence, mais afin, aussi, d'essayer de les prévenir grâce à "des échanges fréquents d'opinion et à des réunions périodiques dans lesquelles on peut discuter des problèmes interprétatifs les plus importants et controversés" (lettre du premier président F. ZUCCONI GALLI FONSECA à ses collègues, in A. ESPOSITO & G. ROMEO, I mutamenti nella giurisprudenza penale della Cassazione (142 casi di contrasto nel quadriennio 1991-1994), Padova, Cedam, 1995, p. 47). Le document final et les autres actes de l'Assemblée générale sont publiés in Foro italiano, 1999, V, c. 161 s.

72. On fait référence, notamment, à l'importance de motiver les jugements, sans cacher le choix de valeur effectif et la marge d'appréciation employée, derrière la mystification de l'application purement technique de la Loi ou de la Méthode juridique (voir, à ce propos, M. CAPPELLETTI, "Des juges législateurs?", loc. cit., p. 111-112, selon lequel "la fiction du juge, disant simplement ce qu'est un droit préétabli, peut avoir été utile à d'autres époques, dans des sociétés moins évoluées et moins ouvertes au progrès"; aujourd'hui, au contraire, "les avantages de cette fiction sont devenus de beaucoup moindres que ses désavantages". En effet, si l'on veut empêcher que les choix opérés par les juges "soient faits de façon purement subjective, et faire qu'ils engagent davantage la responsabilité de ceux qui les font et soient aussi, dès lors, plus démocratiques, il ne doit pas être permis de les dissimuler en ayant recours à des prétentions de logique ou des artifices de langage"). Cette pratique de la transparence, d'autant plus nécessaire lorsqu'il s'agit de modifier le cours de la jurisprudence, devrait aussi produire l'effet vertueux de susciter la prudence, la retenue et le sens de responsabilité du décideur. Pour une critique sévère du style opaque et déresponsabilisant des motivations de la Cour de Cassation française, voir déjà A. TOUFFAIT & A. TUNC, "Pour une motivation plus explicite des décisions de justice, notamment de celles de la Cour de Cassation", in Revue trimestrielle de droit civil, 1974, p. 489 s. Sur ce thème voir aussi les observations d'A. BANCAUD, "Considérations sur une 'pieuse hypocrisie': la forme des arrêts de la Cour de Cassation", in Droit et Société, 1987, p. 373 s.

73. On peut lire, plus diffusément, sur ce modèle, par lequel on a tenté de représenter les relations complexes entre le fait et le droit, M. VOGLIOTTI, "La bande de Möbius: un modèle pour penser les rapports entre le fait et le droit", in Revue interdisciplinaire d'études juridiques, 1997, p. 103 s.

74. Comme le souligne U. ECO, "L'antiporfirio", in Il pensiero debole (1983), sous la dir. de P. A. Rovatti et G. Vattimo, II éd., Milano, Feltrinelli, 1988, p. 75 et 77, "on ne peut jamais avoir une représentation définitive et close" du réseau. Celle-ci n'est jamais "globale, mais toujours locale: elle est fournie à l'occasion de certains contextes et circonstances". Celui qui parcourt le réseau doit donc "apprendre à corriger de façon continue l'image qu'il s'en fait, aussi bien l'image concrète d'une de ses sections (locales), que l'image régulatrice et hypothétique concernant sa structure globale (inconnaissable)".

75. C. SEGRE, "Co-text and Context", in Th. A. Sebeok (ed.), Encyclopedic Dictionary of Semiotics, Berlin, Mouton, vol. I, 1986, p. 151. Pour une approche multicontextuelle du thème de l'interprétation - qu'on ne peut pas développer ici - voir, récemment, B. PASTORE, "Identità del testo, interpretazione letterale e contestualismo nella prospettiva ermeneutica", in Significato letterale e interpretazione del diritto, sous la direction de V. Velluzzi, Torino, Giappichelli, 2000, p. 148 s.

76. Le principe constitutionnel de l'obbligatorietà dell'azione penale a joué, en Italie, un rôle important dans le renforcement de l'indépendance de la magistrature. Toutefois, à la preuve des faits, la rigidité de ce principe - expression d'une pensée hiérarchique (qui ne tient pas suffisamment compte de la complexité de la réalité, notamment du phénomène des "boucles étranges") et binaire (ou "obbligatorietà" ou simple "opportunité" de l'action pénale) - ne pouvait qu'engendrer des effets pervers. Pensée comme une limite forte aux pressions du pouvoir politique et à l'arbitraire des procureurs, afin d'assurer l'égalité des citoyens devant la loi et la traduction dans les faits du principe de la légalité, l'obbligatorietà n'a pas empêché la production de véritables renversements des buts envisagés. En effet, l'impossibilité (mais aussi l'inutilité) pratique de poursuivre toutes les infractions a attribué aux procureurs généraux un pouvoir incontrôlé de choix des infractions à poursuivre, liant, de fait, les sorts du principe de la légalité à la vertu des représentants du ministère public. Ainsi, un principe qui aurait dû assurer le triomphe de la Loi sur les hommes, réduits à des simples exécuteurs matériels, a fini par confier la réalité de l'action pénale dans les mains des hommes. Ce grand pouvoir dans le choix ne peut qu'exposer les procureurs à de fortes pressions externes, en dehors de tout cadre légal, mais aussi internes à l'organisation judiciaire, étant donné la possibilité, par le chef du bureau, d'enterrer - de manière formellement légale - des affaires "délicates" au profit d'affaires de routine.

77. Parmi ces compétences, l'obligation, par le parquet, de poursuivre toutes les notitiae criminis et la soustraction au Gouvernement et au Parlement du pouvoir d'orienter la politique criminelle, réduite à la création in abstracto de l'incrimination par la loi.

78. Voir, notamment, pour une approche similaire, M. CHIAVARIO, "Obbligatorietà dell'azione penale: il principio e la realtà (1993)", in ID., L'azione penale tra diritto e politica, Padova, Cedam, 1995, p. 118 s.

79. Voir, à ce propos, M. van de KERCHOVE et F. OST, "De la pyramide au réseau", loc. cit., p. 52 s. et la bibliographie qui y est rappelée.

80. Comp., par exemple, pour une telle prévision, la circulaire du procureur de la République du tribunal de Turin du 27 mai 1999, in Questione giustizia, 2000, p. 181.


81. Une démarche de ce genre (introduite pour la première fois, en Italie, de façon prétorienne et embryonnaire par les circulaires du 8 mars 1989 du procureur général de Turin et du 16 novembre 1990 du procureur de la République auprès de la "Pretura" de Turin, in Cassazione penale, 1989, p. 1615 s. et 1991, p. 362 s.) semble avoir rencontré, dernièrement, aussi un peu de faveur auprès du législateur (il s'agit de l'art. 227 du décret législatif 19/2/1998, n. 51, qui, de façon transitoire - "afin d'assurer la définition rapide des procès pendants à la date d'entrée en vigueur" du décret sur le "giudice unico", par lequel on a unifié les juridictions de première instance - a introduit des "critères de priorité" pour une gestion raisonnable et transparente de l'action pénale. Voir, sur cette réforme, le commentaire de L. BRESCIANI, in La legislazione penale, 1998, p. 474 s.).

82. Je suis redevable de cette idée à François Ost.

83. Ne pas s'attarder ne signifie pas "renoncer". Il est peut-être opportun de souligner de façon explicite que le changement de perspective induit par le renversement gestaltiste, proposé au cours de cet essai-programme, n'entend pas renoncer, ici comme ailleurs, aux ressources de la perspective traditionnelle, lorsqu'elles peuvent enrichir la perception de l'objet juridique et fournir des instruments utiles pour une meilleure régulation de celui-ci. La fécondité d'une métaphore est de faire émerger des propriétés cachées, non de cacher des propriétés qui avaient déjà été dévoilées.

84. On fait référence à la proposition, récemment formulée par A. CADOPPI, Il valore del precedente…, op. cit., pp. 256 et 301 s., d'introduire le précédent obligatoire - ne fût-ce que dans une version tempérée ou "relative" - dans le système pénal italien. Cet auteur considère une telle réforme comme la "route principale" pour réduire les conflits de jurisprudence et "assurer la sécurité juridique". Or, bien qu'il faille reconnaître à cette proposition, richement argumentée, le mérite de se situer au niveau de la law in action et d'accepter le rôle de la jurisprudence de co-écrivain du droit pénal, elle semble encore trop liée à la logique pyramidale du paradigme traditionnel. Les limites aux conflits de jurisprudence sont pensées, principalement, dans un cadre de relations hiérarchiques et repérées dans la sémantique et la syntactique d'un texte (le jugement, ici, au lieu de la loi). Comme le témoigne l'expérience anglo-américaine et comme le reconnait même A. Cadoppi (p. 294 s.), le précédent obligatoire n'arrive pas à empêcher que l'art of distinguishing de l'interprète trouve des passages pour contourner le champ sémantique du précédent. En effet, il ne semble pas que militent des raisons convaincantes pour supposer que la liberté de l'interprète soit réduite d'une façon majeure par le lien à la sémantique du précédent que par le lien à celle de la loi. En outre, cette obligation de se conformer, même à contrecœur, au précédent pousse les juges qui veulent lui échapper à concevoir des motivations opaques et hypocrites, finalisées à cacher derrière la façade du respect formel du précédent la réalité d'un revirement effectif (d'ailleurs, comme nous le rappelle I. RORIVE, "La rupture de la House of Lords avec un strict principe du stare decisis dans le contexte d'une réflexion sur l'accélération du temps juridique", in L'accélération du temps juridique, op. cit., p. 801 s., l'un des effets positifs du Practice Statement du 1966, par lequel la House of Lords anglaise a décidé de se délier de ses propres précédents, a été celui d'une plus grande transparence des motivations, sans que cette décision n'ait engendré des conséquences négatives sur la stabilité de sa jurisprudence).

85. Sur cette proposition, suggérée par G. CONTENTO, "Principio di legalità e diritto penale giurisprudenziale", in Foro italiano, 1988, V, c. 489 s., de créer un organe nouveau à qui confier la fonction autoritaire de gardien des frontières de la loi, on renvoie aux observations critiques exposées in "Les métamorphoses de l'incrimination", loc. cit., note 25.

86. Voir, par exemple, les douze contributions "Per la Corte di cassazione", publiées dans la revue Il foro italiano, 1987, V, c. 206 s.

87. Par exemple, A. ESPOSITO & G. ROMEO, I mutamenti, op. cit., p. 32 s.

88. Comp., dans la même direction, la recommandation de Zucconi Galli Fonseca (Lettera, cit., p. 48-49) de "renforcer la culture et le soin" du précédent, objectif qui passe, par exemple, par la valorisation des décisions de principe auxquelles les juges devraient se limiter à faire référence per relationem lorsqu'ils n'entendent pas s'en écarter.

89. Le fait "humain" de l'écriture de la loi était considéré soit comme une problématique qui relevait du politique et non du droit soit comme une "réalité irréelle", refoulée par les dispositifs de "désubjectivisation" du droit, tels, par exemple, le mythe du législateur rationnel et, dans les systèmes démocratiques, la fiction de la représentation, qui pouvait faire croire à un gouvernement complètement autonome du peuple souverain grâce à l'instrument des représentants, simple longa manus de la volonté générale.

90. Voir, en ce sens, A. GARAPON, Le gardien des promesses, op. cit., p. 253.

91. L. ENGEL et A. GARAPON, "La fonction publique saisie par le droit", in Esprit, 1997, n. 10, p. 106-107.

92. Sur cette dychotomie, comp. N. BOBBIO, "Governo degli uomini o governo delle leggi?" (1983), in Il futuro della democrazia, Torino, Einaudi, 1984, p. 148 s.

93. Comp., pour cette formule, G. ZAGREBELSKY, Il diritto mite, op. cit.

94. A la différence des cultures juridiques continentales - caractérisées par la prédominance du courant positiviste, par une conception technique et passive de l'activité du juge et par la suprématie de la doctrine sur la jurisprudence - il existe aux Etats-Unis une importante tradition de recherche et une vaste littérature sur les différents aspects de la legal ethics. Voir, pour un aperçu, l'introduction et les textes rassemblés par A. DONDI, Avvocatura e giustizia negli Stati Uniti, Bologna, Il Mulino, 1993.

95. G. ZAGREBELSKY, Il diritto mite, op. cit., p. 185. On peut dire que le drame du droit, comme celui de n'importe quel système, est le suivant: la volonté de tracer, par lui seul, ses frontières et l'impuissance de le faire sans une aide de l'extérieur. Une science du droit à la hauteur de la complexité de son objet devrait empêcher que ce drame finisse par le déchirer, en tempérant l'hybris "monologique" du droit, mais aussi en empêchant que les logiques des autres sous-systèmes finissent par le coloniser et le dénaturer.


96. Voir, par exemple, M. TROPER, Pour une théorie juridique de l'Etat, Paris, PUF, 1994, p. 343 s. et ID., "Réplique à Denys de Béchillon", in Revue de la recherche juridique. Droit prospectif, 1994, p. 267 s.

97. M. TROPER, Pour une théorie juridique, op. cit., p. 344 (c'est nous qui soulignons).

98. M. TROPER, "Réplique…", loc. cit., p. 274.

99. P. MARTENS, "L'irrésistible ascension du principe de proportionnalité", in Présence du droit public et des droits de l'hommes, Mélanges offerts à Jacques Velu, t. 1, Bruxelles, Bruylant, 1992, p. 65-66.

100. Comp., par exemple, le principe de "ragionevolezza" qui, au sein du système constitutionnel italien, "codifie un minimum d'éthique civile et politique" et montre que "la constitution comme processus d'intégration vit de la prudence de tous ses organes" (G. LUTHER, "Ragionevolezza (delle leggi)", in Digesto delle discipline pubblicistiche, Torino, UTET, 1997, XII, p. 347). Ce principe permet à la Cour "de se rendre compte des limites [...] non seulement des lois, mais aussi de ses propres jugements" (ibidem, p. 343), empêchant que la nature hybride de la "démocratie constitutionnelle" dégénère vers la radicalisation d'une seule de ses deux composantes. Voir aussi, à propos de l'exigence d'un tel équilibre institutionnel, G. ZAGREBELSKY, Il diritto mite, op. cit., p. 212-213.

101. P. MARTENS, "L'irrésistible…", loc. cit., p. 66.

102. Comp., pour une approche similaire, mais qui apparaît trop radicale, car elle semble négliger l'importance du rôle joué aussi par les autres formes de limites, G. ALPA, "Interpretare il diritto: dal realismo alle regole deontologiche", in Diritto, giustizia e interpretazione, sous la direction de J. Derrida et G. Vattimo, Bari, Laterza, 1998, p. 211, pour lequel "la seule limite à l'arbitraire est le self-restraint de l'interprète" (au contraire, on l'a vu, selon notre "épistémologie réticulaire", le problème de la limite se décline toujours sur un registre pluriel). Voir aussi, à propos du problème des limites de la compétence de la Cour constitutionnelle italienne vis-à-vis de la sphère réservée à la compétence du législateur, G. ZAGREBELSKY, La giustizia costituzionale, Bologna, Il Mulino, 1988, p. 161, d'après lequel, étant donné l'impossibilité d'objectiver les critères pour tracer a priori les confins de la compétence de la Cour, il ne reste, en définitive, qu'à faire appel à la perception, de la part de cette dernière, du sens de son rôle institutionnel et, le cas échéant, au "self-restraint de la justice constitutionnelle à l'égard de la liberté du processus politique". Un appel similaire à la prudence et à l'auto-limitation provient aussi d'A. BARAK, Judicial Discretion (1989), tr. it., Milano, Giuffrè, 1995, p. 197 et 202.

103. M. VOGLIOTTI, "Faut-il récupérer aidos pour délier Sisyphe?", loc. cit., p. 702 s.

104. PLATON, Protagoras, tr. par F. Ildefonse, Paris, Flammarion, 1997, p. 87 (322 c).

105. L. GERNET (1951), "Droit et prédroit en Grèce ancienne", in Anthropologie de la Grèce antique, Paris, Librairie F. Maspero, 1968, p. 181.

106. F. ILDEFONSE, "Sur l'aidós et la díke", in Protagoras, op. cit., p. 231.

107. L. GERNET , "Droit et prédroit…", loc. cit., p. 181 (c'est nous qui soulignons).

108. Comme le note F. WOLFF, Socrate, Paris, PUF, 1985, p. 88, note 2, "l'aidos, c'est en quelque sorte l'œil du témoin quand on est sans témoin - le témoin intériorisé".

109. Voir, pour cette double signification, S. GERAGOTIS, "Justice et pudeur chez Protagoras", in Revue de philosophie ancienne, 1995, p. 194 (c'est nous qui soulignons). "Respect" vient du latin "respicere" qui signifie "regarder en arrière": c'est justement l'attitude prudentielle que devrait posséder chaque acteur juridique pour éviter d'abuser de ses droits et d'excéder dans l'exercice de ses pouvoirs.

110. F. ILDEFONSE, "Sur l'aidós et la díke", op. cit., p. 237 (c'est nous qui soulignons).

111. B. CASSIN, L'effet sophistique, Paris, Gallimard, 1995, p. 219.

112. Ibidem.